Transport : quand la bonne fonctionnalité part à l’heure — et le reste attend le prochain créneau

Un moteur tourne au ralenti sur le parking, un chauffeur boucle son chrono, un dispatcheur jongle avec des appels, un client rafraîchit l’application pour savoir où se promène sa palette ou son taxi. La logistique, le VTC, le petit autocariste, tous vivent cette tension constante : livrer plus vite, facturer plus juste, rouler à vide le moins possible. Autour d’eux, la tech brille : IA prédictive d’itinéraire, cockpit temps réel, appli grand public, tableau de bord carbone, blockchain de traçabilité. Chaque salon professionnel promet le Graal numérique ; chaque commercial vante la solution définitive ; chaque slide montre une flèche verte à la hausse sur un graphique immaculé.

Pendant ce temps, dans la vraie vie, un plan de transport s’improvise à l’aube parce qu’un chauffeur est malade, un bon de livraison se perd sous le siège, un client s’impatiente parce que le SMS de suivi géolocalisé n’est jamais parti. Le dirigeant d’une PME du transport n’a rien contre l’innovation ; il a tout contre le risque d’immobiliser sa flotte pour intégrer un logiciel flambant neuf. Il a besoin de certitude, pas de promesse. De traction immédiate, pas d’expérimentation coûteuse. Chez Les Bonnes Agences, c’est à ce point de friction que nous sommes appelés : on nous demande ce qu’il faut acheter, quand et pourquoi. On répond rarement par un logo de solution ; on répond par un itinéraire budgétaire.

Le point de départ est toujours le même : la vision de quai. Dans le transport, ce n’est pas la sophistication qui rapporte, c’est la ponctualité et la visibilité. Le client veut savoir deux choses : quand sa marchandise part et quand elle arrive. Tout outil qui améliore ce couple horaire mérite attention. Le reste — gamification de l’appli chauffeur, tableau de bord animé pour la salle d’attente — peut patienter. Nous avons vu des PME investir trente mille euros dans une app passager au design sublime alors que les chauffeurs continuaient à valider leurs courses sur papier carbone. Résultat : double saisie, erreurs, mécontentement. L’ordre logique est l’inverse : fiabiliser la saisie terrain, puis ouvrir une fenêtre au client.

Prenons une société de messagerie régionale, trente camions, deux agences. Elle rêvait d’un portail client où chaque expéditeur pourrait commander en trois clics et suivre ses colis en direct. Coût estimé par un intégrateur : soixante mille euros la première année. Nous avons posé une seule question : votre TMS d’aujourd’hui exporte‑t‑il un fichier de statuts ? Oui, toutes les deux minutes. Dans ce cas, inutile de développer un portail complet ; il suffit de brancher une API d’envoi de SMS sur le statut “chargé” et “livré”. Coût du connecteur : quatre mille euros installation comprise, plus quelques centimes par message. Trois semaines après le déploiement, 90 % des réclamations “où est mon colis ?” avaient disparu. Gain net : plus de temps pour le dispatcheur, moins d’appels, clients satisfaits. Le portail intégral trouvera sa place plus tard, financé par l’économie de temps et la fidélisation.

Dans la même logique, un petit réseau de VTC voulait rivaliser avec les grandes plateformes. L’appel d’une appli maison était fort : géolocalisation, paiement in‑app, programme de fidélité. Devis exorbitant. Nous avons pivoté : un site mobile ultra‑léger pour la réservation, un module de paiement Stripe, un SMS automatique “votre chauffeur arrive”. Pas de driver‑app complexe ; les chauffeurs recevaient encore les courses via Telegram – suffisant pour dix véhicules. L’argent économisé est allé dans la pub locale et la qualité des véhicules ; le volume de trajets a crû de 25 % en six mois. Quand la flotte atteindra cinquante cars, l’appli se justifiera peut‑être. Pour l’instant, la simplicité reste la meilleure marge.

Le transport adore parler d’optimisation de tournée. Un algorithme génétique, un solveur de VRP, et la facture gasoil s’effondre – sur le papier. Sur le terrain, ce type de module suppose des données propres : positions GPS constantes, temps de service fiables, contraintes de chargement renseignées. Une PME qui n’a jamais instrumenté ses véhicules s’exposerait à un fiasco : l’algo donnerait des plans irréalistes, les chauffeurs les ignoreraient, le responsable exploitation accuserait le logiciel. L’arbitrage budgétaire consiste à investir d’abord dans la collecte de données : boîtiers télématiques basiques, remontée d’heures réelles, historique sur trois mois. Puis on pilote à l’œil : “le mercredi, le trafic centre‑ville double, la tournée doit partir trente minutes plus tôt”. Ce n’est qu’après cette acculturation que l’on introduit un planificateur automatique, sinon on jette un algorithme dans un puits d’incertitudes.

Sur la partie maintenance, même logique. L’IA prédictive qui devine la panne turbo avant qu’elle ne survienne fascine. Pourtant, installer des capteurs vibratoires coûte cher, sans parler de l’abonnement à la plateforme qui analyse les spectres. Avant d’en arriver là, nombre de flottes pourraient réduire de moitié leurs pannes simplement en fiabilisant le suivi kilométrique : un export OBD, un compteur partagé, une alerte mail à 80 % de l’échéance. Cette brique de base se finance en un mois de pannes évitées. L’intelligence artificielle attendra l’étape suivante.

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Vient la tentation du ticketing client en temps réel : un portail où le chargeur ouvre un incident, suit sa résolution, mesure le SLA. Réservons‑le aux gros prestataires. Une PME gagne plus à muscler son service clients email avec une signature qui inclut le tracking, qu’à dépenser quinze mille euros dans un Jira customisé. Le budget humain pour répondre rapidement vaut davantage que l’outil sophistiqué utilisé avec lenteur.

Le transport souffre aussi de la fièvre de la traçabilité carbone. Les clients demandent le gramme de CO₂ par colis. Des start‑up vendent des calculateurs complexes. Là encore, le bon sens budgétaire : si vos véhicules ne pèsent pas la charge réelle, l’estimation CO₂ sera aléatoire. Investissez d’abord dans un module de pesée à quai et un calcul simple par type de véhicule. Fournissez un chiffre raisonnable, améliorez‑le à chaque audit. Le jour où le marché l’exigera contractuellement, vous passerez au moteur de calcul fin. Avant, c’est un luxe.

Le fil rouge est constant : un transporteur n’achète pas du code, il achète du temps roulant, du temps client, du temps chauffeur. Chaque fonctionnalités doit raccourcir un de ces temps. Si ce n’est pas mesurable en heures ou en litres, c’est du décor. Cette philosophie fait économiser des fortunes : le budget initial prévu pour “digitaliser la boîte” se mue en cinq micro‑projets, chacun rentable en trois mois. La trésorerie respire, l’équipe adhère, le client voit une amélioration concrète.

Le numérique n’est pas un convoi exceptionnel ; c’est un véhicule articulé. On ajoute une remorque quand le tracteur peut la tirer, pas avant. C’est la voie Les Bonnes Agences : avancer à vitesse sûre, charger la fonctionnalité rentable, laisser la science‑fiction sur le quai tant qu’elle n’a pas prouvé son coût‑minute. Ainsi, votre flotte roule, vos écrans tournent, vos clients sourient. Le reste, on le discutera au prochain créneau, quand la marge en aura financé l’essence.

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