Formation : quand votre savoir vaut mieux qu’une plateforme de rêve — investir juste, au bon moment, pour enseigner plus et mieux

Le formateur se lève souvent très tôt, bien avant ses apprenants. Il révise ses supports, vérifie que la salle sera prête, teste le micro ou le partage d’écran, rafraîchit un exemple chiffré pour qu’il colle à l’actualité du jour. Il se racle la voix, accueille les premiers participants, capte les regards, rythme la journée entre théorie, exercices et histoires vécues. Le soir venu, il referme son ordinateur, il a parlé dix mille mots, répondu à vingt‑deux questions, corrigé des cas pratiques et promis d’envoyer un fichier complémentaire. Le lendemain, un autre groupe l’attend, ou un autre module, ou une entreprise qu’il ne connaît pas encore. À ce moment‑là, quelqu’un — parfois lui‑même, parfois le client — l’interpelle : « Vous avez pensé à digitaliser vos contenus ? On pourrait les vendre en ligne, faire du e‑learning, créer une communauté. » On lui montre le succès d’une grande plateforme, les chiffres mirobolants du marché. Et, très vite, la question se transforme en injonction : il faut une plateforme maison, des vidéos HD, un tunnel de vente automatisé, une app, un CRM, des certificats PDF, un scoring, des quiz adaptatifs, un forum, un chatbot, de la gamification, une place de marché, et pourquoi pas de la VR.

Le formateur hoche la tête. Il se dit que oui, peut‑être. Il imagine son savoir mis en boîte, disponible la nuit, diffusé partout, générant des revenus pendant qu’il dort. L’idée est belle. Et le devis tombe : plusieurs dizaines de milliers d’euros pour “la plateforme de référence”. On lui parle de production vidéo, de motion design, de SSO, de RGPD, de cloud sécurisé, de licence SCORM, de streaming adaptatif. On lui promet une passerelle Stripe, un outil d’email marketing, un plugin d’affiliation. Il attrape le vertige. Car pendant qu’on énumère ces modules, aucun euro n’entre dans sa trésorerie, aucun apprenant n’acquiert de compétence supplémentaire. Le projet digital s’apprête à dévorer son temps, son énergie, parfois ses économies — et tout ça avant le moindre retour sur investissement.

Chez Les Bonnes Agences, nous voyons cette scène se répéter chaque semaine. Des consultants indépendants, des organismes de formation de taille artisanale, des cabinets spécialisés qui tournent bien en présentiel et qui se demandent comment aborder le virage numérique sans faire chavirer le navire. La réponse tient rarement dans un outil miracle. Elle tient dans un arbitrage lucide : investir au bon endroit, au bon moment, pour que chaque euro dépensé dans la tech libère, et non grignote, la valeur pédagogique.

Le cœur du métier de formateur, c’est la transmission. Le numérique ne change pas cette vérité. Il change les modalités : il permet de transmettre plus loin, plus longtemps, à son rythme. Mais un module en ligne n’a de sens que si le contenu est taillé pour lui, si le public y trouve un bénéfice, si la technique s’efface. Autrement dit : mettre une caméra au fond de la salle, filmer huit heures de cours et déposer la vidéo brute derrière un paywall, c’est le contraire d’un investissement. C’est un repoussoir, un aveu d’improvisation. Or beaucoup de projets e‑learning échouent parce qu’ils confondent “mettre en ligne” et “penser pour le en ligne”.

Commençons par la première brique : le catalogue. Un organisme de formation a souvent vingt, trente, cinquante intitulés de sessions. Faut‑il tout numériser ? Non. Faut‑il choisir les plus demandées ? Peut‑être. Faut‑il choisir celles qui se prêtent le mieux à une consommation asynchrone ? Oui. Certaines compétences exigent de l’échange, du coaching, de la pratique en direct ; d’autres se prêtent à une assimilation individuelle suivie d’un rendez‑vous court pour valider. L’arbitrage budgétaire commence là : identifier trois modules “pilotes” dont le contenu est stable, la demande réelle, la durée raisonnable (deux heures filmées peuvent devenir vingt minutes scénarisées) et le public motivé à payer pour du distanciel. Plutôt que disperser l’argent sur toute la gamme, on concentre la dépense sur ce trio. Si le produit se vend, il financera la suite ; sinon, on saura avant de tout perdre.

Deuxième pierre : la production vidéo. Le marché regorge de studios qui vous vendront générique animé, fond vert, lumière cinéma et téléprompteur dernière génération. Le résultat peut être superbe… et étranger à votre identité. Le formateur parle mieux debout, tableau en main ? Filmez‑le ainsi. Il excelle en démonstration sur logiciel ? Capturez son écran, ajoutez sa webcam dans un coin. Le surinvestissement esthétique est le péché mignon des premiers modules. L’apprenant ne vous comparera pas à Netflix ; il vous comparera à l’alternative la plus proche : un PDF mal mis en page ou une vidéo pirate sur YouTube. Si votre son est clair, votre image stable, vos slides lisibles, vous êtes déjà au‑dessus. Inutile, donc, de louer un plateau si le budget est serré. Un micro cravate correct, une caméra grand public réglée proprement, un fond neutre et un bon éclairage suffisent. L’argent épargné ira dans la post‑production : couper les blancs, insérer des visuels, chapitrer, sous‑titres automatiques relus à la main. La vidéo devient digeste, accessible, sans vous ruiner.

Troisième palier : l’hébergement pédagogique. Vous avez entendu les sirènes du LMS propriétaire : “votre plateforme à votre marque, vos couleurs, vos règles”. Sauf que développer un LMS, c’est accepter un ticket d’entrée à cinq chiffres, plus une maintenance. Pourquoi ne pas débuter sur un SaaS dédié à la formation ? Les Teachable, Podia, Thinkific, Kooneo et autres LearnyBox se battent pour proposer un bundle hébergement + streaming + quizz + paiement, contre un abonnement modeste et une commission parfois nulle. Certains formateurs grincent : “Je ne veux pas dépendre d’un tiers.” Mais dépendre d’un développeur free‑lance pour maintenir son code PHP maison est‑ce plus sûr ? L’arbitrage budgétaire, ici, consiste à louer ce qui n’est pas votre différenciation. Votre différenciation, c’est le contenu, l’accompagnement, la pédagogie, pas la ligne CSS du tableau de bord. On loue donc l’infrastructure, on met sa marque par‑dessus, on concentre son temps sur l’écriture de modules.

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Quatrième question : le modèle économique. Le fantasme récurrent, c’est le revenu passif : on vend une formation evergreen pendant que l’on dort. Dans la vraie vie, moins de 10 % des catalogues en ligne se vendent sans effort marketing. La dépense à prévoir, souvent oubliée, c’est la publicité ou le temps passé à produire du contenu gratuit pour attirer l’audience. Si le budget est limité, mieux vaut démarrer par un format mixte : une partie du programme en vidéo à distance, puis un atelier visio en live. Le ticket est plus élevé, la valeur perçue plus forte, et votre présence en direct sert de déclencheur d’achat. Le module vidéo sert d’amortisseur : chaque nouvelle cohorte d’apprenants réutilise la même base filmée, vous n’avez qu’à assurer la partie synchrone. Les marges deviennent confortables sans nécessiter un trafic web délirant.

Cinquième zone d’ombre : le suivi. Un consul­tant pressé peut penser qu’un forum intégré ou un Slack privé sont obligatoires. Pourtant, animer une communauté exige du temps, de la modération, de la relance. Avant de payer pour un système communautaire, testez la réactivité de vos apprenants : un groupe LinkedIn privé, un canal Telegram ou Discord, gratuits, feront l’affaire pour sonder l’appétence. Si l’engagement est faible, félicitations : vous venez d’économiser des milliers d’euros de développement. Si l’engagement décolle, vous aurez les preuves pour financer un espace interne.

Sixième point : la certification. Le rêve de beaucoup de formateurs est de délivrer un badge reconnu, un diplôme maison, un QR code vérifiable sur blockchain. Avant de payer pour un service de certification automatisée, demandez‑vous si le marché le réclame. Un badge n’a de valeur que si l’employeur du participant ou l’organisme financeur le reconnaît. Peut‑être qu’un simple PDF nommé convenablement, envoyé automatiquement à la fin d’un quiz, suffit à valider la montée en compétences aux yeux du client. Là encore, la sophistication attendra la preuve du besoin.

Le nœud qui étrangle le budget, souvent, se nomme intégration : connecter le LMS au CRM, le CRM à l’outil email, l’outil email à la passerelle de paiement, la passerelle de paiement à la comptabilité. Chaque connexion est un risque de bug, donc d’insatisfaction. Si vous débutez, gardez un circuit court : le LMS collecte l’email et l’argent, il envoie la facture, point. Le CRM viendra plus tard, quand vous aurez trois cents clients actifs et un pipeline justifiant l’automatisation. Pareil pour le marketing automation : inutile de payer HubSpot dès le jour 1 si une séquence de cinq emails dans le LMS fait le travail.

Reste la pédagogie. Le numérique autorise la gamification, le micro‑learning, l’adaptive learning. Ce sont de magnifiques pistes, pour plus tard. D’abord, fixez‑vous un taux de complétion : combien de vos apprenants terminent 100 % des vidéos ? Combien répondent au quiz ? Combien réservent la session live ? Tant que ces chiffres restent moyens, dépenser pour du branching scénarisé ou du scoring adaptatif est prématuré. Vos premiers euros doivent aller dans l’amélioration du propos : des exemples concrets, des exercices téléchargeables, des cas pratiques filmés, des corrections commentées. Chaque minute d’une vidéo retravaillée vaut plus qu’une fonction flashy que personne n’utilise.

Vous sentez la ligne directrice : traquez la dépense qui flatte l’ego mais n’améliore ni la pédagogie ni la marge. Le formateur numérique n’a pas pour mission de devenir ingénieur réseau. Son but est de multiplier l’impact de son savoir. Un bon micro, un LMS loué, trois modules pilotes, un funnel d’acquisition clair : c’est le kit de départ. Tout le reste sera greffé quand les preuves seront là : preuve qu’un module se vend, preuve qu’une communauté vit, preuve qu’un certificat se valorise.

Et si l’envie technologique vous titille, exploitez‑la au bon endroit. Investissez dans un logiciel de montage simple pour peaufiner vous‑même vos vidéos. Formez‑vous à la vidéo‑écriture pour écrire un script percutant de cinq minutes plutôt qu’un monologue de vingt. Apprenez le SEO YouTube pour glaner des vues organiques. Ces micro‑compétences coûteront moins cher qu’un développeur, et elles augmenteront votre autonomie. N’oubliez jamais : la dépendance technique est coûteuse, l’autonomie créative est rentable.

Il y aura des objections : “Et mon concurrent qui, lui, a une appli ?” Félicitations à lui si son appli fonctionne ; demandez‑lui en privé combien elle lui rapporte net. Vous découvrirez souvent qu’elle coûte encore plus qu’elle ne rapporte, mais que l’ego la maintient en vie. L’écosystème des plateformes de formation bricolées regorge de cimetières numériques : interfaces vieillies, modules jamais mis à jour, forums désertés. L’apprenant est sévère : il clique, il scanne, il note. Un site daté trahit un contenu daté. Un catalogue à l’abandon tue la confiance. Mieux vaut un micro‑site vivant qu’une cathédrale vide.

Alors oui, visez le digital, mais visez‑le comme un artisan vise son geste : précis, humble, répétable. Un module en ligne, ce n’est pas un trophée ; c’est une promesse de résultat. Mesurez‑la. Un stagiaire qui termine et applique, c’est un ambassadeur. Dix ambassadeurs font un nouveau groupe. Ce groupe finance l’étape suivante. Ainsi se bâtit un projet solide. Pas sur un prêt gonflé d’espoir, mais sur un revenu réinvesti.

Chez Les Bonnes Agences, la règle est simple : chaque euro mis dans la technique doit être justifié par un euro potentiel en pédagogie ou en chiffre d’affaires. Si vous ne pouvez pas tracer la ligne, coupez la dépense. Vous aurez l’occasion de la réintroduire le jour où l’équation s’équilibrera d’elle‑même.

Le miracle de l’époque, c’est que cette approche frugale n’est pas synonyme de médiocrité. Les apprentis apprécient la clarté, la concision, la disponibilité du formateur, la simplicité du support. Ils n’exigent pas des explosions de particules 3D ; ils demandent un contenu qui tient ses promesses. Livrez‑le, et vous aurez de quoi grandir. Une plateforme de rêve se finance par des succès pédagogiques répétés, pas l’inverse. Commencez donc par réussir, modestement, efficacement, et le numérique vous le rendra au centuple – mais à son rythme, pas à celui d’un devis trop beau pour être vrai.

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